Pour le grand hamster, dix ans d’un régime unique en France

Il y a dix ans, une poignée d’agriculteurs se réunissait autour d’une table pour trouver le moyen de contribuer au sauvetage du grand hamster en révisant volontairement leurs pratiques agricoles. Cette démarche unique en France, voire en Europe, commence aujourd’hui à porter ses fruits.

Rien n’est permanent en ce bas monde. Il y a moins de quarante ans, on exterminait cette créature réputée dangereuse, vorace et aussi teigneuse. Aujourd’hui, elle est soignée aux petits oignons, on lui bichonne un couvert protecteur et on essaye de lui garantir un garde-manger digne de ce nom. Du moins là où il en reste. Car le grand hamster a failli disparaître d’Alsace. Il ne doit d’ailleurs sa survie qu’aux campagnes de réintroduction. Ailleurs dans sa zone de répartition européenne, son statut ne semble guère enviable.

Blaesheim est l’un des plus importants repères de grands hamsters, grâce à un soutien historique. Un peu plus loin, le GCO fait partie de ces infrastructures qui minent l’expansion du hamster.   Photo DNA /Franck DELHOMME

Une espèce parapluie, révélatrice de la qualité de la biodiversité

Depuis 2003 et les premiers lâchers de hamsters élevés en semi-captivité, la « marmotte de Strasbourg », comme l’appelait affectueusement le naturaliste Buffon au XVIIIe  siècle, vit sous perfusion. Sans ces lâchers, d’ailleurs, sans doute n’existerait-elle plus en Alsace, donc en France. Parce que son habitat, fortement anthropisé, ne lui est plus adapté. On pourrait le laisser disparaître tranquillement, mais la France s’est engagée à le protéger dans le cadre de la convention de Berne. « Qui plus est, le grand hamster est une espèce parapluie, un indicateur de l’état de conservation de la biodiversité et de la qualité d’un écosystème : si on le protège, on protège les autres », insiste Bruno Ulrich, d’Alsace Nature. D’ailleurs, selon l’Office français de la biodiversité, des chasseurs ont récemment témoigné avoir vu plus de lièvres qu’à l’accoutumée là où on protège le hamster. Enfin, cette espèce est présente dans la plaine rhénane depuis au moins le Néolithique, de quoi imposer un minimum de respect.

Un terrier à Blaesheim. Grâce aux mesures agriculturales adaptées, leur nombre a augmenté mais la tendance reste à confirmer.   Photo DNA /Franck DELHOMME

Un engagement volontaire, voilà l’innovation

Le vent a commencé à tourner il y a dix ans, lorsqu’une poignée d’agriculteurs situés sur les territoires encore positifs en hamsters, ont créé une association pour prendre en main le destin de la petite boule de poils en s’engageant en faveur de la biodiversité. « Les mesures agro-environnementales, habituellement on les impose aux agriculteurs. Ce qui était innovant ici, c’était le caractère volontaire de l’engagement des agriculteurs », s’enthousiasme Laurent Fischer, président de l’Afsal (Agriculteurs faune sauvage Alsace). Cette association a été créée en 2013 pour soutenir les pratiques agricoles favorables à la petite faune des champs. Avec la chambre d’agriculture, elle participe au déploiement de ces mesures sur des surfaces viables en gérant collectivement les assolements. Les mesures concernent des non-récoltes ou la mise en place d’interculture ou bande refuge assurant couvert et repas aux hamsters lorsque les moissons ont mis le champ à nu, ou encore des semis rapides après moissons.

Les lâchers de grands hamsters sont essentiels pour stabiliser les populations, mais combien de temps dureront-ils ? Photo DNA /David GEISS

Un résultat sans appel

Après dix années, le résultat est sans appel. L e nombre d’agriculteurs adhérents est passé de 64 à 216 dans les secteurs concernés et il en vient encore. Les superficies engagées en mesure de protection ont évolué de 1 438 hectares à 4 300. Enfin le nombre de terriers de 319 à 960. Il faudra cependant bien plus de recul pour déterminer si le maintien de l’espèce est acquis, en particulier lorsque cesseront les lâchers. Par ailleurs, les agriculteurs se sont tellement « pris au jeu » qu’ils imaginent de nouvelles filières : bière, farine, pain bio du grand hamster doivent viabiliser des mesures qui ne bénéficieront pas de subsides publics ad vitam aeternam.

De leur côté, les représentants de l’État reconnaissent les vertus de l’initiative portée par les agriculteurs : « Ses résultats vont au-delà de nos espérances. Cette démarche fondée sur un engagement solidaire des agriculteurs à suivre un cahier de charges sur cinq ans est unique en France, voire en Europe », abonde le directeur de la DDT (direction départementale des territoires), Nicolas Ventre. « Cette démarche est transposable pour d’autres espèces en danger ailleurs en France. » De même Alsace Nature, par la voix de Bruno Ulrich, évoque d’importants efforts allant dans le bon sens.

Les agriculteurs mettent en place des filières permettant de viabiliser les mesures favorables aux hamsters.   Photo DNA /Franck DELHOMME

Des aides renforcées

Et après ? L’État français augmente dès cette année les indemnités versées aux agriculteurs concernés dans le cadre d’un nouveau cahier des charges de la mesure « hamster » : entre 2013 et 2022, 5,2 millions d’euros leur ont été attribués, soit près de 600 000 € par an. Désormais, ce chiffre passera à 1 million d’euros. Quant au hamster, « l’état des populations dira la suite, s’il faut augmenter nos exigences en fonction de l’évolution du nombre de terriers ou bien étendre les zones concernées. Pour l’instant, il faut que les populations de hamsters retrouvent des niveaux assurant leur pérennité », annonce Benoît Pleis, chef du pôle « espèces protégées » à la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement). Notre marmotte n’est pas encore tirée d’affaire.

Mangez du hamster !

De la bière, de la farine et du pain bio, des jeux de rôle, des courses à vélo, et bientôt des granolas et des petits-beurre, tous bio. La gamme des événements ou produits estampillés « grand hamster d’Alsace » s’agrandit continuellement, grâce à l’imagination d’agriculteurs luttant pour créer des filières pro-hamster. Aider le grand hamster implique de changer des pratiques agricoles, de tourner le dos à certaines cultures plus rentables, de passer plus de temps sur d’autres, etc. Pour l’heure, ces pratiques sont subventionnées. Cela ne durera pas. D’où l’objectif de développer ces filières pour pérenniser une agriculture compatible avec la sauvegarde du nouvel animal totem de l’Alsace. Ce qui implique une réponse favorable de la part des consommateurs alsaciens dont l’acte d’achat aura un impact certain sur le maintien de la « marmotte strasbourgeoise ».

DNA du 11 mai 2023

 

 

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